Bernadette Dubos

In memoriam Bernadette Dubos (1942-2021)

Bernadette Dubos, phytopathologiste à l’INRA de Bordeaux, connue de tous pour ses contributions majeures sur les maladies de la vigne et reconnue à l’international pour ses travaux de recherche sur la pathologie de la vigne et la lutte biologique.

Bernadette Dubos, phytopathologiste à l’INRA de Bordeaux, connue de tous pour ses contributions majeures sur les maladies de la vigne, est décédée le 17 décembre 2021, à l'âge de 79 ans à Allassac en Corrèze. Biologiste formée à l’université, c’est en 1969 que Bernadette Dubos est recrutée par Jean Bulit comme ingénieure de recherches à l’INRA pour mener des travaux sur les maladies de la vigne à la Station de Pathologie Végétale de la Grande Ferrade (Bordeaux).

Bernadette Dubos avait une compétence reconnue à l’international pour ses travaux de recherche sur la pathologie de la vigne et la lutte biologique grâce à différents micro-organismes antagonistes (Trichoderma, Ulocladium). Avec son collègue Jean-Marc Olivier, Bernadette a d’ailleurs été à l’origine du première colloque des chercheurs en pathologie végétale qui s’intéressaient à la lutte biologique[1] contre les champignons phytopathogènes (notamment le Botrytis et différents champignons responsables des maladies du bois).

Histoire Bernadette Dubos

Les travaux novateurs de Bernadette sur le Botrytis, agent de la Pourriture grise et de la Pourriture noble, ont été menés en collaboration avec de nombreux collègues : Jean Bulit, Dominique Blancard, Marc Fermaud, Denis Dubourdieu, Jean-Jacques Guillaumin, Bernard Doneche. Ses avancées scientifiques ont touché divers domaines couvrant la génétique, l’épidémiologie, la modélisation, le biocontrôle et la protection intégrée. Son activité de recherche fondamentale sur Botrytis était associée, de façon très dynamique, à une activité de transfert et vulgarisation des résultats d’intérêt pour les viticulteurs. Citons ici l’exemple emblématique de la mise au point de l'indice PRB (potentiel de réceptivité des baies de raisin) qui permet d’évaluer le risque Botrytis en fonction de la composition précoce de la pellicule des baies de raisin. Bernadette était en effet une fervente défenseur de la modélisation pour la prévision des risques Botrytis, qui, à l’époque, n’avait pas la reconnaissance qu’on lui connait aujourd’hui. Cet aspect appliqué, développé grâce au CIVB, avait donné lieu à une démarche active et collaborative de Bernadette Dubos, incluant des stagiaires et jeunes chercheurs (Isabelle Chenet, Stéphane Prudet avec l’appui de Jean Roudet et George Raise). Cet indice est aujourd’hui largement utilisé au service des viticulteurs du Bordelais.

A partir de la fin des années 70, Bernadette se spécialise dans la lutte contre les maladies du bois de la vigne, mobilisant toute son énergie au service de la viticulture. Bernadette Dubos avait annoncé que « l’histoire de la viticulture de la fin de ce siècle serait marquée par le développement des maladies de dépérissement des espèces ligneuses… ». Avec ses équipes, elle consacre une grande partie de sa carrière à identifier les agents pathogènes responsables de ces maladies et à comprendre leur épidémiologie si complexe.

Son travail sur l’eutypiose s’est tout d’abord intéressé à décrire la maladie et étudier le cycle de vie de l’agent pathogène, en premier lieu la formation de l’inoculum, son évolution et sa dispersion ainsi que les facteurs qui les influencent, via l’encadrement des thèses d’Eric Paillassa (1992) et de Laurence Chapuis (1995). Après un focus sur l‘identification de la voie de pénétration, la plaie de taille, Ils ont identifié la période de sensibilité de la plante face à cet agent pathogène, en étudiant les mécanismes de sa progression dans le bois. Bernadette s’est passionnée à expliquer les symptômes sur la végétation herbacée. Ainsi s’est-elle entourée d’équipes spécialisées dans le domaine de la physiologie de la vigne, comme celle de Michel Broquedis de l’Université de Bordeaux ou de Raffaele Tabacchi de l’Université de Neuchâtel, pour connaître respectivement le rôle des hormones de croissance ou de toxines sur l’apparition des symptômes de rabougrissement. Sa curiosité l’a aussi conduit à étudier l’influence des facteurs environnementaux sur leur manifestation. Elle a ainsi mis en évidence, dès 1984, le rôle du climat et, en particulier du régime hydrique de la plante dans la gravité des symptômes sur la végétation. Ces études se sont poursuivies au travers d’enquêtes réalisées par le groupe de travail Maladies du bois – Charentes et le Service de la Protection des Végétaux - dans l’objectif de connaître l’impact des facteurs agronomiques sur le développement de la maladie. En collaboration avec Denis Dubourdieu de l’Université de Bordeaux, elle a également montré son incidence sur la qualité des vins avec perte des arômes variétaux.

Bernadette dirige par la suite des recherches sur une autre maladie du bois de la vigne, l’esca et a encadré la thèse de Philippe Larignon (1991). Ce travail a mis en évidence deux processus impliquant cinq champignons conduisant à la formation de bois dégradé caractéristique de la maladie et souligne l’importance des champignons de la pourriture molle sur la progression des nécroses dans les tissus ligneux. Après cette identification, les études se sont poursuivies pour déterminer leur cycle de vie : identification des sources d’inoculum, des voies de pénétration, de la période de leur dissémination et aussi la période de sensibilité de la plante.

Les travaux de Bernadette ont enfin porté sur l’étude du mode d’action de l’arsénite de sodium dans l’objectif de trouver de nouvelles méthodes de lutte, effectuée en collaboration avec François Desaché de la Station Viticole du BNIC et Gérard Darné de l’Université de Bordeaux. Sa curiosité l’a conduite à étudier l’influence des facteurs environnementaux sur leur manifestation par le biais d’enquêtes réalisées en France et dans différents vignobles européens (Espagne, Grèce, Italie) en lien avec François Mimiague, statisticien de l’Université de Bordeaux. Enfin, elle a montré la propagation des champignons pionniers de l’esca par le matériel végétal. A la fin des années 90, elle a identifié de nouveaux agents pathogènes appartenant à la famille des Botryosphaeriacées, associés à une maladie proche de l’esca, appelée BDA[2]. Les études ont, par la suite, porté sur l’identification de leur cycle de vie. A côté de ces maladies du bois, elle a aussi engagé des travaux sur le Pied noir, qui ont permis l’identification de l’agent qui en est responsable.

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Tout au long de sa carrière, Bernadette s’est investie dans la recherche de méthodes de lutte à l’égard des maladies du bois. Elle a travaillé en collaboration avec les sociétés phytopharmaceutiques pour trouver des solutions permettant de protéger les voies de pénétration et s’est intéressée aux moyens à mettre en œuvre pour leur application. Bernadette avait la force de caractère pour résister aux industriels qui voulaient parfois aller trop vite en besogne. Elle voulait des démonstrations expérimentales rigoureuses. Douée de qualités humaines exceptionnelles, Bernadette avait su rendre accessible ses travaux, engageant avec elle toute la profession dans la lutte contre ces maladies. Elle était l'amie de nombreux propriétaires ou responsables de domaines viticoles et s’est aussi beaucoup impliquée dans la diffusion de ses résultats de recherches. Souvent invitée à prendre la parole lors des réunions professionnelles, elle parcourait les vignobles pour conseiller les viticulteurs sur les méthodes de lutte à mettre en place pour limiter le développement de ces maladies.

Il faut ajouter que Bernadette avait tissé des liens professionnels et amicaux avec les chercheurs de tous les pays. Elle n’hésitait pas à voyager et à partir travailler à l’étranger dans le cadre de résidence de plusieurs mois. Bernadette travailla ainsi avec Maria Lodovica Gullino de l’Université de Turin sur le contrôle de Botrytis par les trichoderma. Elle séjourna  dans le laboratoire de Roger Pearson où elle travailla sur l'eutypiose, l’esca et le Brenner des vignobles nord-est américain (Geneva, Cornell University ; 1985), puis chez Doug Gubler avec qui elle travailla sur l’esca dans les vignobles à raisins de table de la Californie (Davis, University of California ; 1992). En Amérique du sud, elle collabora avec Marta Gatica sur la ‘Hojà de Malvon’ en Argentine (INTA, Mendoza; 1998) et avec Grigoletti Junior dans les vignobles du sud du Brésil (EMBRAPA, Bento Gonçalves). Ces séjours prolongés dans les régions du nouveau monde lui avaient procuré une connaissance des problématiques phytosanitaires viticoles qu’on peut rencontrer à travers le monde. La faculté naturelle que Bernadette avait de tisser des liens et de collaborer, lui vaut aujourd’hui une grande reconnaissance auprès de la communauté scientifique internationale. Ses travaux pionniers sur les maladies du bois font aujourd’hui autorité auprès des scientifiques, aussi bien en France qu’à l’étranger.

Tout au long de sa carrière, Bernadette aura été une membre active de très nombreuses sociétés savantes. Elle a assuré la coordination du groupe de Lutte Intégrée en Viticulture de l’Organisation Internationale de Lutte Biologique (OILB) de 1992 à 1999. Elle était aussi une membre du conseil scientifique de l’Institut Français de la vigne et du vin (IFV) et contribuait régulièrement aux conférences de l’OIV et de l’association internationale “Lien de la Vigne”. Son ouvrage paru en 2002 aux éditions Féret sur les maladies cryptogamiques  de la vigne a reçu le prix de l’OIV[3].

La passion pour la vigne de Bernadette Dubos plonge ses racines en Corrèze, où ses ancêtres étaient d'Allassac, un des plus célèbres crus de l'ancien vignoble corrézien[4]. C’est d’ailleurs dans son village natal qu’elle retourne s’installer en 2005, au moment de prendre sa retraite. Au cœur du bourg du village, Bernadette Dubos restaure avec beaucoup de goût l’ancien couvent du Sacré Cœur qu’elle renomme ‘Logis de la Providence’. Animée par son insatiable envie de partage, elle y ouvre trois belles chambres d'hôtes où elle accueille toute l’année, visiteurs, touristes et amis.

Bernadette Dubos était une femme d’exception. Elle laisse le souvenir d’une collègue passionnée, généreuse et humaine. Avec elle, le travail se faisait toujours dans la convivialité et Bernadette recevait quotidiennement collègues et étudiants dans son bureau pour partager un café et des moments chaleureux. Elle aura marqué notre laboratoire de son inoubliable empreinte. L'héritage qu'elle nous a laissé continue à se perpétuer à travers toutes les personnes qu'elle a contribué à former ou à recruter[5].

[1] Les antagonismes microbiens , B. Dubos et JM Olivier, 1983, 24ème colloque de la Société Française de Phytopathologie, Edition les Colloques d e l’INRA n°18, 360pp

[2] Black Dead Arm

[3] Dubos Bernadette. Les maladies cryptogamiques de la vigne : champignons parasites des organes herbacés et du bois de la vigne. Editions Féret, Bordeaux, 207 pages, 2002.

[4] Le vignoble de Corrèze qui fut dévasté au 19ème siècle par le phylloxera, est en pleine renaissance. L’INAO a validé l’Appellation d’origine contrôlée « Corrèze » en 2017 pour les vins issus de ce vignoble. 

[5] Philippe Larignon, ancien doctorant de Bernadette, poursuit aujourd’hui des travaux sur les maladies du bois de la vigne à l’IFV de Nîmes. Marc Fermaud, chercheur INRAE, a poursuivi les travaux sur Botrytis dans l’unité de recherche SAVE à Bordeaux.